Stan De Spiegelaere est membre clé du groupe de réflexion Minerva, professeur invité à l’université de Gand et directeur des politiques et de la recherche chez UNI Europa. Il est l’auteur de Mondige burger, stille werker? (Citoyen responsable, travailleur silencieux ?), qui paraîtra en novembre aux éditions EPO.
En cette Journée internationale pour le travail décent, nous nous souvenons d’une leçon d’Aristote : le travail décent n’est pas un luxe, mais une nécessité. Sans travail décent, pas de démocrates.
L’Athènes antique est considérée comme le berceau de la démocratie. Mais cette démocratie était très différente de la nôtre. Elle était plus directe et n’avait pas de parlement élu, mais elle excluait également de grands groupes de la population. Non seulement les femmes, les esclaves et les étrangers, mais aussi les simples travailleurs n’étaient pas autorisés à y participer. Cela nous en dit long sur la valeur démocratique du travail décent.
Aristote posait une condition claire : un citoyen qui participe à la démocratie doit pouvoir penser librement et de manière indépendante. Seuls ceux qui étaient autonomes et indépendants pouvaient participer aux décisions.
Cela excluait donc un certain nombre de groupes. Tout d’abord les enfants, qui n’étaient pas encore assez mûrs pour être libres. Ensuite, les femmes et les étrangers. Selon les Grecs de l’Antiquité, les premières étaient trop liées à leur foyer. Les seconds étaient considérés comme des invités ; il ne leur appartenait pas de décider de l’avenir de la ville qui les accueillait. Les esclaves étaient également exclus. Ils dépendaient par définition de leur maître et ne pouvaient donc jamais participer librement.
Mais saviez-vous que les employés ordinaires n’étaient pas autorisés à participer non plus ? Selon lui, les artisans et les ouvriers étaient trop dépendants de leur travail pour pouvoir penser librement. Leur travail les rendait donc inaptes à participer aux décisions politiques.
Ce raisonnement peut sembler élitiste, mais son essence reste d’actualité : un travail qui rend dépendant nuit à la capacité de participer en tant que citoyen libre à la société démocratique.
Étude européenne
Une récente étude européenne menée par l’Institut allemand pour la recherche économique et sociale (WSI) confirme ce qu’Aristote soupçonnait : les conditions de travail influencent fortement votre attitude à l’égard de la démocratie. Dans dix pays de l’UE (dont la Belgique), les auteurs ont interrogé 15 000 travailleurs sur leurs conditions de travail, leur participation au travail et leur croyance en la démocratie.
L’étude montre que le travail décent est important pour croire en l’importance de la démocratie. Les travailleurs qui bénéficient de meilleures conditions de travail disposent d’une plus grande autonomie dans leur emploi, et ceux qui ont un travail plus intéressant croient davantage en l’importance de la démocratie que les autres.
L’analyse (mais pas le langage) d’Aristote résiste donc à l’épreuve du temps. Nous ne pouvons toutefois pas souscrire à sa conclusion. Il excluait tout simplement les groupes qui ne sont pas libres dans leur travail. Nous devons faire le contraire : réformer le travail afin qu’il soit source d’émancipation. Et c’est là que le bât blesse parfois.
À première vue, la plupart des chiffres pour la Belgique sont bons. La qualité du travail en Belgique est relativement élevée, mais sous cette surface calme se cachent de grandes inégalités. Les travailleurs peu qualifiés ont des emplois nettement moins bons, et ce depuis des années. Les chiffres de l’enquête sociale européenne montrent une amélioration de la qualité du travail des travailleurs hautement qualifiés, mais beaucoup moins (voire pas du tout) pour les travailleurs peu qualifiés.
La traduction de cette situation dans le domaine politique est claire. Les travailleurs peu qualifiés croient beaucoup moins en leurs capacités politiques que les autres. Près de la moitié des travailleurs hautement qualifiés ont une confiance raisonnable en leurs propres capacités politiques. Ce chiffre n’est que de 16 % pour les travailleurs moins qualifiés.
Nos voisins
À travers le travail, nous excluons donc, tout comme Aristote, de grands groupes de notre démocratie, ce que nous ne pouvons nous permettre. Des solutions existent et beaucoup sont connues. Les pays d’Europe du Nord obtiennent de meilleurs résultats en matière d’organisation du travail et d’implication des travailleurs. Nos voisins du nord et de l’est peuvent également nous apprendre quelque chose sur le rôle du comité d’entreprise.
À l’heure où notre démocratie est mise à mal, la leçon d’Aristote est plus actuelle que jamais. Cette journée du travail décent ne concerne donc pas seulement la morale ou l’économie. Elle concerne la politique. La démocratie ne peut s’épanouir que si les citoyens participent librement et de manière indépendante. Cela nécessite un travail avec participation, sécurité, autonomie et respect.
Si nous voulons sauver la démocratie, nous devons commencer sur le lieu de travail.
Traduit du néerlandais avec https://www.deepl.com
Article original : https://www.demorgen.be/meningen/via-het-werk-sluiten-we-grote-groepen-uit-van-onze-democratie-en-dat-kunnen-we-ons-niet-permitteren~bbbce5e1/